Par Damaris Muhlbach
Publié le 8 juin 2012
Retour à La forêt
En 1523 et 1525, le Magistrat prend des mesures qui contraignent les clercs à devenir bourgeois (ils peuvent, puis doivent acquérir le droit de bourgeoisie) et le Schirmvertrag protégeant les chapitres n’est pas renouvelé.
L’intégration se manifeste aussi par le mariage : Bucer arrive marié à Strasbourg en 1523, d’autres suivent son exemple. Cette situation crée d’ailleurs des tensions, par exemple lorsque Firn, curé de Saint-Thomas épouse sa cuisinière ou encore quand Mathieu Zell se marie avec Catherine Schütz. Ils sont alors, comme d’autres, excommuniés (mars 1524).
Le changement vient aussi dans certains cas des paroisses elles-mêmes. À partir de 1524, les fidèles commencent à choisir leur prédicateur, Bucer devient ainsi prédicateur à Sainte-Aurélie, ou Capiton à Saint-Pierre-le-Jeune. Quant aux échevins de la ville, ils pensent que c’est au Magistrat de choisir les pasteurs.
Les changements cultuels
L’année 1524 vit également se produire un ensemble de modifications du culte et de la vie ecclésiastique en général. Le 25 janvier, Zell fut le premier à baptiser en allemand, le 16 février, la Sainte-Cène fut distribuée sous les deux espèces. Le 19 février, Schwarz célébra la messe en allemand (…) On n’utilisa plus l’huile, le sel et les cierges lors du baptême. La célébration de la Cène, moins fréquente et conçue comme commémoration plutôt que comme sacrifice fut simplifiée : la table de communion remplaça l’autel, l’élévation et le signe de croix disparurent ainsi que la chasuble et, un peu plus tard l’aube. La prédication supplantait le geste, un culte en esprit et en vérité, dépouillé, remplaçait les usages et la Tradition.
L'apport théologique
L’apport des Strasbourgeois résiderait dans un texte rédigé par Bucer (…) : que l’enseignement de Luther et de ses disciples …est chrétien et juste. Et qu’il ne s’agit pas d’un enseignement nouveau, mais d’une doctrine ancienne et éternelle . Composé de douze articles, ce mémoire souligne l’autorité de l’Écriture seule, et l’oppose à la tradition des Pères de l’Eglise et des conciles. Tout chrétien est tenu de se soumettre à l’autorité de l’Écriture et à confesser son message. On expose ensuite la doctrine de la justification par la foi qui ne reste pas sans les œuvres. Puisque l’homme est justifié par la foi, les différences de lieux, de temps et de personnes sont relativisées ainsi que les traditions humaines. On affirme le sacerdoce universel, on justifie le mariage des clercs. On demande que la messe soit célébrée sous les deux espèces, et, au nom de la justification par la foi, on rejette le sacrifice eucharistique. On rejette les 7 sacrements pour ne conserver que le baptême (auquel est jointe la pénitence) et la sainte Cène. Les vœux monastiques sont jugés inconciliables avec la parole de Dieu. Par contre, on souligne que tous, y compris les clercs, doivent obéir aux autorités politiques.
LIENHARD Marc. « La Réforme à Strasbourg ». In LIVET Georges et RAPP Francis (dir.). L’histoire de Strasbourg des origines à nos jours. Tome II : Strasbourg des grandes invasions au XVIe siècle. Chap. II. Le temps des changements (1523-1529). Strasbourg : Dernières nouvelles d’Alsace, 1981, p. 383 et 384.
Luther astiquant le Bunschuh
Grav. Thomas Murner, Von dem grossen lutherischen Narren, Strasbourg, 1522. Extr. de LIENHARD Marc. « La Réforme à Strasbourg ». In LIVET Georges et RAPP Francis (dir.). L’histoire de Strasbourg des origines à nos jours. Tome II : Strasbourg des grandes invasions au XVIe siècle. Strasbourg : DNA, 1981, p. 386.
Coll. Dernières Nouvelles d'Alsace
Les revendications paysannes, vieilles d’une génération croient pouvoir identifier leur cause à celle du mouvement évangélique. En effet, une partie des communautés rurales alsaciennes, séduites par les 12 articles des paysans souabes s’allient au Bundschuh.
Cependant, durant le conflit, Strasbourg (tout comme Luther en d’autres lieux), ne suit pas les paysans sur le chemin de la violence, mais tente de jouer, souvent sans y parvenir réellement, un rôle de médiateur ; et surtout, la ville accueille des réfugiés (jusqu’à 3 000 personnes).
Elle est, par conséquent, critiquée par les deux partis : les paysans qu’elle n’a pas soutenus, malgré des appels pathétiques, l’évêque qui rend le mouvement évangélique responsable du soulèvement.
La résistance est parfois individuelle comme, par exemple, celle de l’imprimeur Grüninger qui publie, entre 1520 et 1524, une cinquantaine d’écrits de polémique anti-protestante, tel que Le Grand fou luthérien, de Murner. Le théologien Conrad Treger, lui, s’oppose aussi aux idées nouvelles qu’il qualifie d’hérésie bohémienne et hussite mais, emprisonné par le Magistrat en septembre 1524, il doit promettre de ne plus polémiquer et quitte la ville.
Quant aux institutions, la résistance vient essentiellement du couvent des Chartreux ainsi que de la Commanderie Teutonique et de celle de Saint-Jean, du côté masculin mais surtout des couvents féminins de Saint-Nicolas-aux-Ondes, Sainte-Madeleine et de Dominicaines de Sainte-Marguerite, les moniales revenant quelques mois après avoir été chassées des couvents et continuant à célébrer de manière clandestine le culte traditionnel. Enfin, en ce qui concerne les chapitres des deux Saint-Pierre et d'une partie du chapitre de Saint-Thomas, après une période de conflit, en particulier en raison des charges imposées aux bourgeois, les tensions s’apaisent en 1529, les chanoines recouvrant leurs biens, mais s’engageant en contrepartie à rétribuer les pasteurs de Saint-Thomas, Saint-Nicolas et Sainte Aurélie.
Quant à l’évêque, Guillaume de Honstein, s’il est conscient de la nécessité de certaines réformes, il ne souhaite cependant pas de débat de fond avec l’hérésie. Selon Marc Lienhard, [il] était seulement prêt à toucher l’édifice traditionnel, mais non à le remplacer par une nouvelle construction.
L’Alsace apparaît très tôt aux réformés de France comme un refuge proche et sûr. Bucer arrive en 1523, 150 bourgeois de Kenzingen en 1524, Roussel et Lefèvre d’Etaples, fuyant la persécution se réfugient là durant l’année 1525 et d’autres de Lorraine, de la principauté de Liège, des Pays-Bas, de France ou du Sud de l’Allemagne. L’accueil est donc parfois ponctuel, parfois plus long.
La Réforme, telle que la concevaient les prédicateurs évangéliques devait se faire d’un commun accord entre les ministres de l’Église et l’autorité civile, et non en laissant libre cours aux initiatives des laïcs. Elle devait être préparée par la prédication et non imposée aux faibles. C’était la Bible interprétée par les théologiens, qui avait autorité et non l’illumination de tel ou tel individu. La Réforme concernait les institutions religieuses, mais non pas l’ensemble de la vie sociale. Mais très tôt s’étaient manifestées des tendances qui entendaient aller au-delà de ce programme, notamment en la personne du maraîcher Ziegler. En 1524, l’ancien collègue de Luther Carlstadt, expulsé de Saxe séjourna 4 jours à Strasbourg. Plusieurs de ses écrits y avaient déjà été imprimés. En désaccord avec Luther, il voulait aller plus vite et plus loin sur le chemin des réformes.
Sans attendre l’accord des autorités et sans tenir compte des faibles, il fallait obéir à la loi de Dieu, enlever les images, supprimer le baptême des enfants et laisser le champ libre à une conception plus spirituelle de la Cène. À l’attentisme des autorités, et des prédicateurs, Carlstadt préfèrait le dynamisme impatient des laïcs et soulignait la liberté de l’Esprit qui pouvait inspirer qui il voulait. À un christianisme justifié par la foi, lui et Ziegler opposaient la perfection de la vie morale sous la croix et au service des autres. Le bref passage de Carlstadt à Strasbourg ne resta pas sans effet. Il renforça la tendance radicale, divisa le camp évangélique et troubla les réformateurs.
LIENHARD Marc. « La Réforme à Strasbourg ». In LIVET Georges et RAPP Francis (dir.). L’histoire de Strasbourg des origines à nos jours. Tome II : Strasbourg des grandes invasions au XVIe siècle. Chap. II. Le temps des changements (1523-1529). Strasbourg : Dernières nouvelles d’Alsace, 1981, p. 392.
Quant aux anabaptistes et autres non conformistes, ils sont nombreux, surtout après la guerre des paysans.
Les anabaptistes fuient la répression et cherchent à se réfugier à Strasbourg ; ils sont jusqu’à 500 en 1528, leur présence se manifestant par des réunions, prières d’illumination, l’étude de la Bible au cours de réunions durant lesquelles chacun peut s’exprimer. Ils pratiquent l’entraide, prônent un christianisme bibliciste et éthique, refusent toute responsabilité politique dans la cité.
Les individualistes, qui ne veulent s’inféoder ni aux anabaptistes, ni à l’Église officielle, sont attachés à la liberté de l’Esprit qu’ils opposent à la lettre de la Bible et à l’institution. Il s’agit là de Bünderlin, Schwenkfled, Franck.
Enfin, à partir de 1529, apparaît une tendance qu’on peut appeler illuministe parce qu’elle se fonde sur des révélations qui seraient advenues à certains individus ; il s’agit là de Melchior Hofman et de ses fidèles.
Si le Magistrat enferme les plus remuants et procède à des expulsions, jamais il n’ira, comme en d’autres endroits jusqu’à la peine de mort pour anabaptisme.
Scène d'iconoclasme et de pillage des églises
Grav. Thomas Murner, Von dem grossen lutherischen Narren, Strasbourg, 1522. Extr. de LIENHARD Marc. « La Réforme à Strasbourg ». In LIVET Georges et RAPP Francis (dir.). L’histoire de Strasbourg des origines à nos jours. Tome II : Strasbourg des grandes invasions au XVIe siècle. Strasbourg : DNA, 1981, p. 382.
Coll. Dernières Nouvelles d'Alsace
En 1529, en raison d’une forte demande populaire tout comme des prédicateurs évangéliques, le Magistrat vote la suppression de la messe.
Seul le culte évangélique est autorisé dans la ville de Strasbourg, et on assiste à des scènes d’iconoclasme à l’encontre des images de dévotion. Quant aux couvents, il n’en reste que quatre sur quatorze encore en activité.