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La fin du siècle

Par Damaris Muhlbach

Publié le 8 juin 2012

Tout au long du siècle et surtout dans sa seconde moitié, Strasbourg est une terre d’accueil pour les protestants originaires de différents pays qui fuient les guerres, les persécutions religieuses. Néanmoins, à partir de 1563, les réformés sont expulsés de la ville.

Les catholiquesRevenir au début du texte

Face à l'expansion de la religion protestante, la résistance catholique se manifeste dans quelques couvents qui refusent le passage à la Réforme. Quant à l’évêque, Jean de Manderscheid (1569-1592), il tente de redonner de la vigueur au catholicisme alsacien, d’abord par le soin, tant matériel que moral, qu’il apporte au clergé de son diocèse, et dont on observe la misère dans les rapports que lui adresse le procureur fiscal chargé d’inspecter les différentes paroisses.

C’est d’ailleurs dans le contexte de la Réforme catholique, et plus particulièrement des décisions du Concile de Trente (1563), qu’on décide, comme en d’autres endroits, de fonder des séminaires diocésains.

À la fin du siècle Jean Rasser, curé d’Ensisheim, développe une école dans sa ville natale, qui doit répondre aux critères du Concile. Il y fait appliquer les méthodes pédagogiques prônées par les Jésuites et tente de faire en sorte que ce soient ceux-ci eux-mêmes qui continuent son œuvre, à sa suite. Ils viendront en 1618.

Molsheim : collegium et templum

Molsheim : collegium et templum
Ill. anonyme, 1650 ?
Photo et coll. BNU Strasbourg (ref. 707031)

Sur décision de l’évêque, un collège de Jésuites est aussi installé en 1580 à Molsheim, qui devient alors capitale de la Réforme catholique.

La théologie y est enseignée à partir de 1592 et, suite à une série de privilèges, cet établissement est transformé en université en 1618. Entre temps, en 1607, le cardinal de Lorraine, évêque de Strasbourg y obtient l’ouverture d’un séminaire aux jeunes gens qui se destinent à la prêtrise.

Enfin, la réaction vient aussi des fidèles eux-mêmes : les jeunes qui avaient été placés dans les établissements dirigés par la compagnie de Jésus, lorsqu’ils rentrent chez eux, sont parfois décidés, comme à Haguenau, à combattre l’influence des Luthériens, ce qui amène à un retour de la pratique religieuse catholique.

1604. Nos Pères ont donné la communion à 70 personnes environ le jour de la Pentecôte ; à 40 en la fête de l’Assomption ; à 12 le jour de la Nativité de Marie ; à 70 à la Toussaint. Nous estimons qu’il faut rapporter ces faits, un à un, car d’une part il y avait eu jusque là personne ou presque personne pour s’approcher des sacrements…et d’autre part, les progrès réalisés par la suite apparaîtront mieux. L’heureuse solennité de Noël célébrée cette même année nous servira fort bien d’exemple : quelques 120 personnes eurent à cœur d’accueillir ce jour là le Fils de Dieu dans leurs âmes. La représentation de la venue du Christ dans le monde, représentation presque inconnue jusqu’alors, mais très présente et très religieuse, stimula vivement la dévotion populaire.

 La chronique des Jésuites de Haguenau (1604-1692).
Texte publié par Georg Gromer. Haguenau : Éditions du musée de Haguenau,
1959, p. 11. Traduction de F. Rapp.

Des exemples de dissidentsRevenir au début du texte

À côté d’une Église officielle se développent également, au XVIe siècle, des mouvements dissidents qui, face à la fixation de la doctrine et de l’établissement d’institutions, trouvent qu’il y a soit trop de contraintes, soit pas assez.

Les épicuriens

Sont ainsi qualifiés des hommes que Bucer et d’autres trouvent dangereux pour la foi et l’Église évangélique. Il s’agit d’Anton Engelbrecht qui avait fait partie du cercle d’humanistes autour d’Erasme et qui, après avoir été suffragant de l’évêque de Spire, s’est tourné vers le mouvement évangélique et est devenu pasteur à Strasbourg, où il a rapidement importuné ses collègues en raison de son manque de discipline et de solidarité. Comme lui, Wolfgang Schultheiss est considéré comme épicurien, car il se distingue par son irrégulière participation au Convent ecclésiastique, mais aussi car, pour lui, la réalité centrale est la parole intérieure ou l’enseignement direct de l’homme par l’Esprit.

Parmi les proches des épicuriens, il y a le maraîcher Clément Ziegler qui nie le Jugement dernier, Brunfels, Sapidus, ou encore l’humaniste Jakob Ziegler, qui s’oppose à la fixation d’une doctrine qu’il juge contraignante.

Finalement, nombre d'entre eux, à qui on reproche la relativisation des cérémonies et des confessions, finissent par retourner au sein de l’Église traditionnelle.

Les anabaptistes

L’anabaptisme, quant à lui, reproche à l’Église officielle son aspect multitudiniste.

À Strasbourg, elle s’exprime autour de Marbeck et de ses proches qui reprochent à l’Église, alors en cours de constitution, non seulement le baptême des enfants, mais aussi d’être ouverte à tous, en accueillant par exemple tout le monde à la Cène. Eux souhaitent plutôt organiser une communauté de croyants structurée, soucieuse de discipline et de sanctification. Marbeck est expulsé dès 1532, mais les anabaptistes, alors nommés frères suisses, continuent à se réunir, tout en étant l’objet d’une surveillance plus ou moins importante selon les périodes.

Les anabaptistes qui sont en désaccord avec les conceptions religieuses des réformateurs strasbourgeois (les 16 articles, la Tétrapolitaine puis la confession d’Augsbourg) sont expulsés ou opprimés.

Les illuminés

Les disciples de Melchior Hofman rejoignent les anabaptistes dans la seconde moitié du siècle. Il continue cependant à y avoir, à des périodes régulières, des inspirés dont certains, à la suite de Martin Steinbach, se considérant même comme des voyants de lumière (Lichtseher).

Les schwenkfeldiens

Quant aux disciples de Schwenkfeld, qui a séjourné à Strasbourg de 1529 à 1533, ils cherchent avant tout un christianisme spiritualisé libre, pur. Pour Schwenkfeld en effet, la véritable Église repose sur l’engagement personnel des chrétiens. L’essentiel tient donc davantage dans le développement spirituel individuel que dans l’édification mutuelle. Ceci n’est pas sans attrait pour une certaine élite strasbourgeoise, cultivée et détachée des cérémonies. Les schwenkfeldiens participent rarement aux offices, préférant cultiver une piété personnelle et se réunir en petits groupes autour du chant, de la prière de la lecture de la Bible. Même s’ils sont en fait peu nombreux, de l’avis de Schwenkfeld lui-même, le mouvement ne s’éteint pas dans la seconde moitié du siècle.

La rupture de Strasbourg avec l’Église traditionnelle et l’édification d’une l’Église évangélique n’avaient modifié ni le rythme des rapports sociaux ni la nature des institutions. Les hiérarchies sociales, mis à part les transformations opérées par la guerre et le mouvement économique n’étaient pas transformées, pas plus que les formes de production ou de propriété. Les établissements plus que les personnes avaient profité des transferts de propriété qui accompagnent nécessairement toute révolution. Mais ce qui était nouveau, c’était l’esprit qui animait les institutions, les cultures, les différentes formes de la vie sociale (…) Cet esprit va être pendant des siècles une des constantes essentielles de la mentalité des peuples de la République !

LIENHARD Marc. « La Réforme à Strasbourg ». In LIVET Georges et RAPP Francis (dir.). L’histoire de Strasbourg des origines à nos jours. Tome II : Strasbourg des grandes invasions au XVIe siècle. Livre II. Église, culture et société. Chap. I. Les institutions et les hommes. Strasbourg : Dernières nouvelles d’Alsace, 1981, p. 437.