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Une image de la ville :
le plan Morant (1548)

Par Stéphanie Classeau

Publié le à définir

Conrad Morant et son œuvreRevenir au début du texte

Conrad Morant est né à Bâle vers 1510 et mort avant 1563.
Il est issu d'une famille bourgeoise de Bâle mais, en 1520, son père achète le droit de bourgeoisie à Strasbourg. Conrad apprend le métier de peintre et entre à la Tribu de l'Échasse.
En 1546, il s'inscrit cependant à la Tribu des Tailleurs et la Tribu de l'Échasse lui interdit alors l'usage de pinceaux et de couleurs. Conrad Morant est propriétaire, à partir de 1544, de la maison Zur goldenen Leiter, au 8 rue de l'Épine : il fait donc partie des Strasbourgeois aisés. En 1555, il est nommé préposé à la voirie tout en ayant une activité de banquier.

Si Conrad Morant est souvent mentionné dans les sources comme peintre, nous ne connaissons cependant aucune œuvre peinte de lui, sûrement à cause de l'interdiction de la Tribu de l'Échasse. Sa spécialité était en effet les grands panoramas ou vues de villes, de plus en plus répandus à l'époque. Vers 1535, il dessine à la plume légèrement aquarellée une vue de la ville de Bâle. Il réalise aussi des gravures sur bois représentant des vues de différentes villes pour la cinquième édition de la Cosmographia du Bâlois Sebastian Münster de 1550.

Mais ses œuvres les plus connues ont pour sujet la ville de Strasbourg : il s'agit de deux gravures sur bois, l'une représentant la façade de la cathédrale et l'autre, coloriée, représentant un plan de la ville. Ces deux œuvres sont datées de 1548 et conservées au Germanisches Nationalmuseum de Nuremberg.

Le plan de 1548Revenir au début du texte

Le plan de Strasbourg de Conrad Morant mesure environ 86 cm de long et 68 cm de haut. La ville est dessinée depuis la plateforme supérieure de la façade de la cathédrale. Afin de ne pas cacher les bâtiments, la façade de la cathédrale est une adjonction pliante à la gravure.

Couleurs et proportions

Le plan Morant

Le plan Morant
Photo Archives de Strasbourg, 1548
© Archives de Strasbourg (n/r)
Image interactive (voir aide)

Cette œuvre attire entre autre par sa polychromie : la campagne est en brun clair, les cours d'eau en bleu pâle, les constructions importantes ont un toit rouge, la nef de la cathédrale est en bleu foncé et les arbres et les jardins sont verts. Conrad Morant a aussi rehaussé tous les arbres de points d'or et souligné tous les toits d'un fin contour doré. Le plan contient en outre quelques inscriptions en caractère d'imprimerie.

Ce plan étonne car il ne respecte aucune règle de perspective géométrique. La topographie urbaine n'en est qu'à ses débuts et Conrad Morant est avant tout un peintre.

Les proportions du plan sont donc parfois très éloignées de la réalité. Il réussit cependant à représenter dans un ovale régulier délimité par les murs de la ville une vue de Strasbourg. Les bâtiments s'organisent ainsi en cercle autour de la cathédrale.

Les bâtiments : de la cathédrale aux murs de la cité

La cathédrale constitue le principal bâtiment du plan car elle est le centre religieux de la ville. Mais l'église des Dominicains est aussi très grande sur le plan et représentée avec précision. Avec la Réforme, cette église devient le siège de la Haute école de l'enseignement humaniste, connu aussi sous le nom de Gymnase. Parmi les bâtiments officiels, seul le Pfennigturm où est conservé le trésor de la ville est vraiment mis en valeur. La Pfalz, l'hôtel de la Monnaie, la Douane et l'Arsenal sont représentés de manière assez juste mais moins précisément.

Les habitations bourgeoises sont représentées avec beaucoup de liberté. Les grandes maisons nobles des XIVe et XVe siècles avec leurs toits pointus et leurs pignons à redents sont faciles à distinguer mais leur orientation a souvent été modifiée de 90 degrés.

Plus on s'éloigne de la cathédrale et l'on se rapproche des murs de la cité, plus les bâtiments sont petits et donc représentés avec moins de précision. Aux abords de la cité, les maisons sont représentées schématiquement et le nombre de maisons ne correspond pas toujours à la réalité. Il en va de même pour les rues : leur nombre et leur emplacement ne sont pas toujours exacts.

Les espaces libres

Morant utilise trois fois le terme de Platz comme par exemple pour la Munsterplatz, alors que celui-ci est très peu utilisé à l'époque. Cette notion est nouvelle et vient de de la Renaissance italienne. Les espaces libres étaient en fait désignés en tant que marchés : Obstmarkt, Fischmarkt, Kornmarkt, Roßmarkt, Weimarkt, etc.

La représentation d'une ville médiévale

Comme le souligne Liliane Châtelet-Lange, la ville représentée par Conrad Morant reste donc une ville médiévale car, en 1548, la plupart des édifices datent des XIVe et XVe siècles. Au XVIe, Strasbourg ne connaît pas de grandes opérations d'urbanisme. C'est seulement à la fin de ce siècle que plusieurs bâtiments sont transformés ou construits. Il s'agit entre autre des étages de la maison Kammerzell (1589), du nouvel hôtel de ville ou Neu Bau (1583), de la nouvelle boucherie (1587-1588).

Une œuvre picturale avant tout

Comme nous venons de le voir, les plans de ville de la Renaissance n'ont pas pour but de représenter la réalité de la cité mais bien plus de montrer la beauté de ses édifices, la multitude des rues et des églises, l'importance de ses fortifications.

D'après Liliane Châtelet-Lange, il semble évident que Conrad Morant ne voulait pas faire un plan pratique et utile mais un éloge de Strasbourg. Ce plan était peut-être une commande du Magistrat et devait se trouver dans l'hôtel de ville. Mais il est aussi fort probable que Morant ait voulu offrir un plan de la ville au Magistrat pour lui témoigner sa reconnaissance. Albrecht Dürer avait fait de même en 1526 pour le Magistrat de Nuremberg avec ses Quatre apôtres ou encore Christoph Braun, un peintre-verrier, pour le Magistrat de Strasbourg en 1589 avec sa verrière comportant les noms de tous les Ammeister.