Thierry HATT
Publié le 11 avril 2014
Vue de Strasbourg
Thierry Hatt, 2003
Coll. personnelle
Strasbourg est la seule ville de France dont deux plans relief sont conservés à un siècle d’écart : celui de 1725-1728, qui fait partie des collections du Musée Historique de Strasbourg et celui de 1836-1863, qui est déposé au Musée des Plans Relief des Invalides à Paris. Ils font partie des collections royales mises en place par Louis XIV à la fin du XVIIe siècle. L’objectif premier de ces reliefs est de permettre la préparation de la guerre, la prise et la défense des places qui sont les techniques de guerre de l’époque.
C’est Louvois qui prend l’initiative d’en systématiser la production ; elle permet aux chefs militaires d’imaginer les angles d’attaque ou de défense. Le relief est un document stratégique et secret, il permet aussi de faire œuvre pédagogique vis-à-vis des non spécialistes, les princes, le Dauphin et le Roi. La collection n’est montrée qu’avec parcimonie, elle sert le prestige du Roi face aux grands de ce monde. Saint-Simon raconte la visite de Pierre le Grand en 1717 à qui elle est présentée au Louvre.
Le relief de 1725 pour Strasbourg a eu la chance unique de ne subir probablement que des mises à jour minimes au moins après 1815 date de sa spoliation par les vainqueurs de Napoléon Ier et de son « gel » dans l’arsenal de Berlin jusqu’en 1903, date de sa restitution par le Kaiser à la Ville.
Les principaux bâtiments religieux (Cathédrale, Saint Thomas, Saint Guillaume …) sont représentés à l’échelle 1/500 soit plus grands que le reste du plan qui est à l’échelle de 1/600. Ceci souligne l’importance qu’ils ont pour les maquettistes.
L’exactitude documentaire est toujours aussi grande ce qui nous donne une bonne idée des bâtiments disparus (Collège royal jésuite, couvent Sainte Madeleine, couvent Sainte Marguerite …).
La Ville possède en propre un grand nombre de bâtiments, selon le cadastre de 1765, 256 éléments bâtis, 12% de la surface totale. Elle est en particulier propriétaire des casernes qui hébergent les troupes royales ce qui représente une charge énorme.
La grande qualité de représentation des bâtiments qui existent encore (Chambre de commerce, Ancienne Douane, portion du grenier à grain), permet de mieux se représenter l’allure des bâtiments disparus (la Pfalz ou les hangars à bois).
Le plan relief est suffisamment précis pour que l’on puisse retrouver les bâtiments des corporations, et leur structure parcellaire en s’appuyant sur un plan de 1790, ici encore l’exactitude de la représentation du parcellaire et du bâti est tout à fait surprenante.
La ville représentée sur le relief est encore celle du Moyen-Âge. Elle n’a pas encore subi l’influence française. Les grands hôtels ont été construits après les années 1740, soit après la réalisation du plan relief.
Ceci permet de faire l’état des lieux antérieurs et de mesurer le nombre de maisons qui ont été détruites au bénéfice de ces hôtels princiers. La construction des grands hôtels nobles est responsable de la transformation complète de certains quartiers en particulier la rue Brûlée.
Le plan relief de 1725 est un véritable palimpseste des générations successives de fortifications dont il garde la mémoire. Une exception toutefois vers l’Est où les travaux de l’Esplanade et de la Citadelle ont détruit les anciennes fortifications.
Le plan relief donne un tableau d’une grande exactitude des principales étapes du renforcement des défenses de la Ville. On observe que Vauban n’a fait que des aménagements sur des structures déjà puissantes.
Les forts de Pierre, de la Porte Blanche et surtout l’Esplanade et la Citadelle sont les aménagements principaux. Ces aménagements sont à double usage, défense de la Ville mais aussi répression d’une éventuelle révolte.
L’exactitude extrême et démontrée du bâti intérieur permet de penser que la qualité de la représentation de l’extérieur de la Ville est identique. Les détails sur les eaux sont suffisants pour établir une typologie entre les différents types d’eau, libres ou non, canalisées ou non.
La digue Vauban qui ferme l’Ill aux Ponts Couverts était actionnée périodiquement pour vérifier le remplissage correct des fossés. Ceci montre une grande maîtrise de l’hydrologie. Néanmoins l’endiguement, bien que présent est tout à fait insuffisant pour éviter les crues qui sévissent jusqu’au début du XX° siècle.
Les espaces verts ont de l’importance : 16.5% de la surface à l’intérieur et 6.4% à l’extérieur de la Ville. Les jardins de production sont en particulier présents au Nord de la Ville, à la Robertsau entre Ill et Aar.
Les parcs privés des nobles comme les Contades sont décrits avec soin (labyrinthes, parcelles à la française, tonnelle), l’Orangerie, au bout de l’allée de la Robertsau présente déjà une structure de parc.
La question de l’exactitude de la répartition des surfaces cultivées en labours et prés humides a pu être établie par analyse chronologique comparative. A mesure que l’on avance dans le siècle les améliorations de l’aménagement et les changements de structure de propriété permettent d’augmenter les labours et diminuer la surface des prés : les labours passent de 23 à 28% entre 1725 et 1780, les prés de 27 à 19% de la surface totale.